mardi 29 avril 2008

Logique floue

J'ai l'impression d'avoir déjà tout dit, tout écrit.
Je viens de terminer ma mission chez mon ancien client, filiale d'un groupe public.
J'ai, là encore et à ma grande surprise, détonné en proposant de faire un bilan de fin de mission à mon supérieur en interne. Je ne vais pas trop m'étaler sur sa capacité à faire diversion, en vous jetant l'opprobre pour mieux se préserver; mais soit, c'est terminé. J'en ai tiré des leçons et, comme dit l'adage, non bis in idem.
Aujourd'hui, je suis chez un autre client. Que dire? D'abord le cadre: un openspace qui ressemble plus à une salle d'archives aménagée; une équipe jeune pour la plupart, et sur place depuis moins d'un an. Le client a l'air d'être satisfait des prestataires, il n'hésite pas à y prendre appui, et c'est bon signe.
Ma position, dans tout cela, encore nomade et sans objectif; ça me rappelle la métaphore que j'avais confiée à une amie du temps estudiantin, sur le ballon et le train; il me semble bien que je suis devenu le ballon.
Inutile de m'allonger sur la check-list de ce qu'il faut faire; je le sais déjà, j'ai lu plus que trop sur le sujet, je pourrais même faire coach si ça continue; mais là il faut que je m'occupe enfin de moi-même.
Pourtant, dès que je pense à l'action, je me fige. Sans trop savoir pourquoi, après avoir épuisé toutes mes cartouches d'activité de diversion, je reste quoi sur le sujet, sur mon sujet: j'en deviens paralysé. J'ai l'impression de plus en plus nette que ma vie me fuit comme l'eau à travers les doigts; je ne suis plus maître de rien ou presque; et ce n'est pas le temps qui me manque en vérité; j'ai eu plusieurs occasions dernièrement de redresser la barre (maladie, RTT, creux d'activité, etc.) mais je restai face à moi interdit.
Par ailleurs, j'ai tout de même mis à jour mon CV et surtout personnalisé; ça m'a pris plusieurs heures mais j'en suis globalement satisfait : il me ressemble; maintenant, alors que je n'ai aucune peur des entretiens, ou des recruteurs, ou de tout ce qui peut s'y apparenter; drôle de phobie.
Ce qui est effroyable, c'est cette sensation continue de voir l'absurdité de la vie humaine. Mais pourtant il faut jouer le jeu; et pour continuer à vivre avec cette lucidité, il faut se forcer à garder une part de fantastique, résister à la tentation du désenchantement total par l'acuité, d'y croire encore un peu.
Dans le mode consommable, je sais ce qu'il me faut pour relancer ma motivation, mais dans mes tréfonds, je n'y vois que du trompe-l'oeil, finalement que du factice. Encore une fois, c'est ce que disait St Exupéry, rendre aux hommes une signification spirituelle.
Aujourd'hui je le sais (au profit de mon désenchantement) : tout projet, et sa réussite de qcq degré, n'est que sursis accordé au désenchantement. Et c'est justement là que je bloque: comment croire à ce que je fais sans se mentir ?
Alors ce qui entretient l'enchantement, c'est sans conteste l'enfant et son regard candide; mais cynique équation que d'entretenir l'enchantement par la procréation qui conduit au désenchantement.
Suis-je excessif? Peut-être mais désaxé, sans doute pas. Ce dont je parle a été traité par de grands noms tels que Rousseau, Pascal ou encore Spinoza; Voltaire en a fait le traité dans Micromegas.
Alors que reste-t-il? Lorsque le besoin n'est plus, l'homme est confronté à sa propre misère, en cela qu'il perçoit alors sa petitesse, sa bêtise et sa futilité; alors il commence à désirer, et à se divertir, dans le sens premier, càd à "se détourner de" sa propre réalité.
Une telle approche ne saurait être celle d'un jeune homme, me dit-on parfois; mais le jeune homme, il a juste l'énergie de faire, mais ne vaut rien de plus en soi; c'est un peu comme la pile dans matrix, la pile est chargée quand on est jeune, voilà tout, mais on ne vaut rien d'autre finalement.
Mais cela ne va pas sans difficultés pour "l'insertion sociale"; en effet, comme je viens de le lire dans le magazine "Cadres", être différent remet en question l'autre, en particulier dans le contexte hiérarchique entreprise, et cela revient dès lors à passer pour un donneur de leçons. Drôle de lien! Encore une spécificité culturelle illogique que je dois admettre et prendre en compte. Illogique mais non sans fondement historique et social. Là encore, l'Egalité a devancé la Liberté sur le podium républicain. Par ailleurs, autre difficulté sociale: je suis de moins en moins dupe, et il m'est d'autant plus difficile adhérer aux idées/illusions de groupe; alors, sans pourtant l'afficher, cela se voit et remet le groupe en question dans ses croyances; la réaction qui s'ensuit est donc le rejet. Ca me rappelle un film cette histoire..
« L'homme est très fort quand il se contente d'être ce qu'il est ; il est très faible quand il veut s'élever au-dessus de l'humanité. » Emile Rousseau
Je sens une impasse dans mon raisonnement; s'il est vrai que je ne crois pas aux nombreuses activités grégaires de notre existence, je peux m'en permettre parce que je suis à l'abri du besoin nécessaire à ma survie; de ce point de vue, je peux passer pour un ingrat; toutefois, si Dieu, ou la Providence, m'a élevé au-dessus des 4/5 de l'humanité, je ne peux pour autant en rester là: l'espoir est d'essence humaine; dès lors, s'il est vrai que je suis fort et apaisé lorsque je me satisfais de ce que je suis, alors plus de progrès, plus d'avenir, que de la répétition; l'entéléchie qui est cette aptitude spécifique à l'homme à se surpasser fait partie de son essence; la supprimer au nom de la paix de l'âme serait lui ôter une part non négligeable de son humanité.
Donc la question est: quelle entéléchie faut-il avoir? Et là, je crois que c'est, in fine, une question de choix.
Voilà le raisonnement éclairci et corrigé... et laissé en brèche pour une prochaine fois.

PS: écrire m'a fait bcp de bien; voltaire avait la santé très fragile, était mort né et a vécu près de 90 ans; l'écriture était sa thérapie; je le comprends maintenant.

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