vendredi 22 février 2008

Ma plume

Salam alaykoum,

Parfois je suis perdu; l'air hagard, les yeux ébahis, le menton tombant, les cheveux ébouriffés; le regard terne et dépoli, les lèvres qui ne savent plus sourire sauf esquisser, etc. Que dire? Je me meurs, voilà tout. Et chaque jour qui passe me rend compte de mon état, et m'y avance à la fois; il faudrait arrêter le temps, ou peut-être même le remonter, qui sait? reprendre certaines choses, en refaire d'autres un peu mieux... on me dit souvent que toute expérience est bénéfique pour qui sait l'apprécier; mais non je crois qu'il est des expériences par moment; il est des expériences qu'il ne faut pas vivre à certains moments; pour ma part, c'est la longue agonie de mon père, et la lourde charge qui s'ensuivit, le mariage arrangé qui capote, le temps passé à construire des foyers sur mes plus chères années...
Voilà, voilà ce que j'aimerais reprendre, mais je ne le peux pas; j'observais hier une émission avec Luc Besson et Jean Jacques Annaud, qui témoignaient de leur vie passée derrière la caméra, et qui disaient -seule leur célébrité le leur permettait!- que le cinéma était pour eux leur seule liberté, dans un monde où nous sommes tous enchaînés ou castrés plus ou moins fortement.
J'en ai même assez des réflexions, assez même de réfléchir; je veux dire les choses simplement, comme elles me viennent, en évitant toute digression philosophique, historique, religieuse... Ah!, Saint Exupery, n'est ce pas toi qui disait si justement qu'il ne restait plus qu'un seul problème dans le monde: rendre aux hommes une signification spirituelle.

Quel ennui que de se retrouver là, assis dans un bureau, accompagné du seul bruit des touches de mon clavier, le regard perdu dans cet écran aussi plat que vide. Chaque fois que j'ai pu, j'ai poussé un cri, un souffle de vie, pour ne pas mourir intérieurement; chaque fois, on me "ramenait à l'ordre"; le bétail c'est toujours rassurant; on attend de moi que je sois un informaticien, un bon informaticien, point. Il ne s'agit pas de donner des prérogatives, au risque de paraître pompeux, il ne s'agit pas pour moi d'imaginer, d'inventer, je ne suis qu'un informaticien! Arabo-musulman de surcroît; car à la castration moderne s'ajoute le ressentiment -tout aussi conscient ou pas- vis à vis de l'Autre que je suis par excellence.
je vois des jeunes développeurs revenir de pause café; c'est triste de désolation spirituelle; alors on descend à la machine à café, on échange sur les derniers achats, le dernier film, les salaires, etc. Rien que de la matière. C'est vide.
J'avais commencé à écrire au collège, en classe de quatrième je crois; fin de seconde j'avais écrit près de cent cinquante poèmes, textes en prose et autres réflexions; qu'en ai-je gardé aujourd'hui? j'avais du les jeter (grave erreur!) pour déménager sans éveiller les soupcons de ma mère; depuis, je ne m'y suis remis que prosaiquement; dans les périodes de solitude aussi, à paris durant mes années de prime jeunesse. Je trouve pourtant que j'étais plus riche à cette époque qu'aujourd'hui.
Je vois souvent des gens confondre richesse et somme; je peux compter à satiété, il me manquera toujours qq chose; par contre, si je me sens plein nu, en mon for intérieur, alors il ne me manquera rien.
Depuis que je vois se bâtir des couples, on a l'impression d'arroser, de produire, mais de ne rien alimenter. Un couple? Un foyer à meubler, un frigo à remplir, des factures à payer, du grégaire, encore du grégaire, toujours du grégaire. Un problème dans le foyer? Le compte séparé, l'interdit bancaire, l'indépendance matérielle, le "développement personnel", l'affirmation de soi, quelle sécheresse! Comme disait encore St Exépury, tout lyrisme sonne ridicule. Sacraliser le couple? Faiblesse individuelle, baisse de confiance en soi, manque de force personnelle. Car on se croit puissant. Libre. Indépendant. Quel orgueil!
Le fort, c'est celui qui réussit par lui-même, un peu à l'image du self made man américain, mais avec cette propension si spécifique à rejeter le sacré, avec le sourire.. Quelle prétention!
Parce que l'homme moderne croit être quelque chose, faire quelque chose, devenir quelqu'un d'important. Dumas le faisait dire à Dantès : "voyons [..], croyez-vous que ce que vous faites vaille la peine de s'appeler quelque chose?" C'est amusant de voir à quel point l'homme moderne se croit supérieur, plus il amasse de la matière; pourtant, c'est par elle qu'il s'existe, c'est donc lui qui en est dépendant. Moi je préfère discuter avec des gens, même sur des choses simples, mais qui existent vraiment, au-delà de ce qu'ils ont, mais de ce qu'ils sont.
Peu importe pour beaucoup pourquoi les choses sont, l'important c'est le how. Ne parlez pas à vos collègues d'historique, de raison d'être, de perception, non, parlez de chiffres, de résultats, de statistiques et de tableaux, et ils vous écouteront.
En attendant, mon inspiration se tarit, mais j'en suis qq peu rassuré en voyant que j'ai pu reprendre la plume électronique sans trop d'embarras; je n'ai pas encore retrouvé ma vigueur d'autrefois, mais j'y aspire.
J'ai retrouvé la plume, mais pas la main. J'espère qu'elle reviendra, et avec elle l'esprit. Amen.