mercredi 4 mars 2009

L'age d'or de l'islam

Un titre éloquent
L'âge d'or de l'islam. C'est sous ce titre éloquent qu'ont été publiés un ouvrage d'Ali Mazahery dans les années 50, et un film documentaire de Mahmoud Hussein produit plus récemment.
Je ne sais si leur dénomination éponyme relève ou non du hasard, et peu m'importe.
Ce qui étonne toutefois, c'est l'étrange saveur que laissent ces deux oeuvres au palais de la mémoire.. mais avant d'aller plus loin dans le ressenti, restons en aux faits.

Une méthode remarquable
Tout d'abord, pour le livre de Mazahery, il est incontestable que c'est là un travail de compilation remarquable par sa densité et sa profondeur ciblée; Ali Mazahery a la rigueur du scientifique et la pertinence de l'intellectuel; c'est un vrai plaisir de le lire; de son ouvrage, dont l'objet est de donner une "photographie" historique de l'âge d'or de l'islam médiéval, il en a excellé la préparation et le développement.
La préparation tout d'abord est rendue compte dans une introduction très complète de l'ouvrage, où l'auteur présente ses choix d'éclairage sur le sujet; en accentuant les aspects de la vie quotidienne plutôt que les évènements historiques par exple, ou en adoptant une approche par les usages plutôt que par les lois, en précisant/argumentant le ciblage dans l'espace musulman, etc. Bref, une méthodologie en tout point remarquable de rigueur, et je n'ai guère la prétention ni les moyens d'en redire quoi que ce soit, en bien ou en mal d'ailleurs.
Je me souviens de Platon et de sa théorie des 4 élements pour expliquer l'univers, celle de l'atome de Démocrite était pourtant connue mais le grand Platon a parlé, et la théorie de l'atome bannie; mille ans d'errance et d'erreur s'en sont suivies. Platon avait pourtant une méthode prouvée, mais ça ne l'a pas empêché de faire fausse route.
Tout ceci pour dire que la méthode, bien que nécessaire mais insuffisante, ne présage en rien la qualité (morale?) des propositions et leurs conclusions (i.e. vrai et juste), dont la responsabilité incombe aux auteurs à l'aune de leur conscience.
Ceci est d'autant plus vrai chez Mazahery l'écrivain que Hussein le cinéaste. Peut-être parce que les mobiles du premier sont-ils plus forts et profonds que ceux du second?

Quels buts?
En commençant leur oeuvre, j'avais la grande joie de m'approcher de l'érudition, et sa saveur particulière; à la fin, c'est avec l'amertume et la déception que je les ai finis. Amertume de voir l'esprit de science rattrapé par celui du partisan. Déception que même les plus grands, les plus éclairés, semblent ne pas échapper à l'idéologie; le sujet peut-il se dissocier, au moins le temps de l'analyse, de son objet? Belle désillusion.
Chez Mazahery, l'iranien, on finit par déshabiller le "sarrazin" pour habiller le "persan"; chez Hussein, le laïc, dépouiller le "spirituel" pour le "rationnel". Les méthodes sont différentes : chez Mazahery, on procède par le découpage historique (généalogie des choses); chez Hussein, par le découpage cartésien; à mon humble opinion, le découpage des choses d'une civilisation, suivant le plan historique ou rationnel, n'ôte en rien sa substance; autrement dit, votre généalogie tout comme votre composition élémentaire n'enlève rien à votre identité, à votre réalité, à votre existence, à votre vérité; personne ne peut être réduit à une filiation parentale, et à une juxtaposition d'éléments matériels (biologiques, etc.) et immatériels (psychologiques, etc.).
Et malheureusement, c'est ce qui ressort très clairement du livre et du documentaires éponymes. Après le découpage d'une chose, on en déduit sa vacuité.
J'aime à rappeler cette définition de la civilisation selon Saint Exépury "la civilisation est un bien invisible puisqu’elle porte non sur les choses, mais sur les liens invisibles qui les lient l’une à l’autre, ainsi et pas autrement". Dès lors, décrire une civilisation, qui plus est à son âge d'or, si son analyse nécessite des découpages, elle ne peut pas servir à la vider; on ne déshabille pas pour mettre à nu.
Khalil Gibrane, dans le Prophète, disait que le bien et le mal sont indissociablement liés chez l'homme; je le crois volontiers.
Alors je comprends bien que les comptes ne sont pas réglés dans la mémoire collective; pour faire court, d'un côté, l'iranien zoroastre/chiite se sent spolié par l'arabe musulman/sunnite, les sujets étant bien ici les mémoires respectives, pas les identités; pour l'autre, le rationnel-laïc par le sacré-spirituel.

Un titre ambigu
Je me souviens, avec délectation par contre, du livre de Sigrid Hunk, "Le soleil d'Allah brille sur l'occident"; voilà un titre non moins éloquent mais dont la substance n'est pas, osons le mot, empoisonnée; là encore, peut-être est-ce plus facile pour l'allemande qu'est Sigrid Hunk de traiter le sujet lointain de l'islam sans passion?
Sans jamais se défaire de son esprit critique, on fait avec elle un voyage éthymologique, épistologique, etc. de l'Occident découpé à l'aune de l'islam en tant que civilisation; on n'est certainement pas plus musulmans à la fin du livre, mais on ne l'est pas moins non plus. Tout comme l'occidental en ressort non pas diminué, vidé, mais raffermi et éclairé.

Conclusion
L'ensemble livre + film "L'âge d'or de l'islam" forme un joli tir croisé sur l'arabe sunnite. Et, soyons cyniques, de manière insidieuse, de l'intérieur. C'est l'apanage des faibles, mais sans doute faut-il aussi entendre ces revendications, elles sont sans doute légitimes et suffisamment étouffées pour être aussi sourdes; mais je suis déçu de la bassesse du procédé, surtout de la part d'intellectuels ou d'un savant. C'est dommage, d'autant qu'on a tous à y gagner. La vengeance, cette fille légitime de l'injustice, ne devrait jamais suppléer l'effort de construction.
Au passage, je considère ce type d'ouvrages comme du "hors piste". Beaucoup de perles à récolter, mais pour le non initié, il y a de quoi être ébranlé dans le fondement d'or de l'islam: la foi. Et sur ce dernier point, dommage collatéral ou délibéré de la part des auteurs, je ne leur pardonne qu'à l'aune de l'inconscience.